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« Comme par magie » d’Elizabeth Gilbert, un essai optimiste et revigorant sur la créativité

La question de la création artistique m’intéresse depuis que, très jeune, je me suis mise en tête que j’écrirai un jour une œuvre digne de ce nom. Le temps passant, je me suis aperçue que j’étais douée pour rêver mes œuvres sans jamais les rendre matérielles, tombant dans le piège de cet idéalisme désincarné qui, à la longue, ne génère que frustration et dépit. L’idéalisme et le perfectionnisme sont d’ailleurs bien souvent des ennemis de la création (idée que développe E. Gilbert dans son livre). La question de l’inspiration m’a aussi toujours intriguée par son caractère capricieux, un peu comme si les moments d’inspiration étaient des moments de grâce non choisis, où quelque chose de plus grand que nous venait nous visiter. 

« Il faut avoir un chaos en soi-même pour accoucher d’une étoile qui danse. » Peut-être connaissez-vous cette fameuse citation de Nietzsche ? Elle sous-entend qu’une œuvre d’art ne peut naître que d’une tourmente, d’un état de mélancolie où l’harmonie manque.

A vrai dire, je l’ai aussi pensé longtemps jusqu’à ce que je m’aperçoive que dans les moments de grande déprime, absolument rien ne jaillissait de mon esprit, aucune flamme, aucune idée brillante, et encore moins du génie. Au contraire, dans les moments de joie, mon imagination est infiniment plus féconde et mes idées bien plus lumineuses. 

Un essai au ton personnel

Dans ce livre drôle et pleins d’anecdotes pertinentes, l’écrivain américaine Elizabeth Gilbert expose sa vision de la créativité et de l’inspiration, forgée à partir d’années de galère, de travail forcené dans l’écriture, de moments de gloire et d’échecs. L’auteur du célèbre « Eat, Pray and Love » (que je n’ai par ailleurs jamais lu) a connu bien des obstacles sur son chemin et, si un de ses romans a eu un succès qui dépassait toutes ses attentes, tous ses autres livres n’auront pas connu la même consécration, loin de là.

C’est donc avec la sagesse et l’humour de ceux qui ont accumulé de l’expérience qu’elle nous parle avec son ton très personnel de toutes les leçons tirées de son parcours. 

Créer n’implique pas de souffrir

Ce livre m’a plu non seulement parce que son auteure nous pousse à lâcher tous nos blocages – bien souvent liés à la représentation que nous nous faisons de ce que doit être une œuvre d’art et de notre perfectionnisme – sur le processus créatif mais aussi parce qu’il déconstruit avec beaucoup de finesse et d’intelligence tous les mythes autour de la création. « Comme par magie » offre un regard original et lucide sur le processus créatif, loin des recettes toutes faites.

Qui n’a pas déjà entendu parler des poètes maudits ? Qui n’a pas déjà pensé qu’il fallait souffrir pour créer ? Qui n’a pas entendu parler de ces artistes géniaux et torturés qu’ont été Van Gogh, Wagner, Andy Warhol ou Virginia Woolf ? -Pour ne citer que ceux-là.

Il ne s’agit pas de dire qu’aucune œuvre n’a été créée à partir d’une souffrance parce que, il faut le dire, la souffrance peut constituer une matière pour la création et quelque chose de beau peut émerger d’une douleur sublimée. Mais, lorsque la souffrance est profonde et qu’on se perd dans ses abîmes, il n’y a alors plus aucune créativité qui peut en jaillir. C’est ce que nous dit avec force Elizabeth Gilbert. Elle démystifie toutes ces croyances autour de l’art qui en font quelque chose de grave, de sérieux, d’essentiel et au final, de bien peu joyeux.

E. Gilbert écrit un essai qui invite à se laisser aller à l’impulsion créatrice en lâchant ses blocages, ses peurs et ses préjugés sur ce qu’il faut avoir ou être pour être artiste et en mesure de créer. 

L’ouvrage commence avec une idée originale -qui déplaira sans doute aux esprits cartésiens- sur les idées qui sont pour Gilbert des entités à part entière. Et même si l’on peut remettre en question la validité d’une telle conception, on est forcés d’avouer qu’en termes d’inspiration et de créativité, il est  difficile de donner une recette basée sur des éléments rationnels. L’inspiration s’invite à des moments où on ne s’y attend pas et on serait bien embêtés de devoir expliquer les raisons de sa venue et de sa disparition.  Plus tard dans le livre, l’auteure illustre sa vision avec un exemple très amusant tiré de son expérience de romancière.  

« Comme par magie » (traduction un peu ratée du titre anglais « Big Magic ») est un des livres les plus créatifs, drôle er enthousiasmant qu’il m’ait été donné de lire sur le thème de la créativité. Une belle façon de lui rendre hommage !

Quelques extraits parmi les nombreuses pépites de ce livre

 » Pour prendre un peu de recul, réfléchissez à ceci: la plus ancienne trace d’art humain reconnaissable comme telle remonte à quarante mille ans. Le vestige le plus ancien d’agriculture, en revanche, ne remonte qu’à dix mille ans. Ce qui signifie que quelque part au cours de l’histoire collective de notre évolution, nous avons décidé que c’était largement plus important de fabriquer des objets séduisants et superflus que d’apprendre à nous nourrir de manière régulière. »

« Après tout, une fois mon livre parvenu entre ses main [celles du lecteur], il lui appartenait dans son intégralité et n’était plus à moi. Reconnaître cet état de fait – Reconnaître que la création ne vous appartient pas – est la seule manière saine de créer. Si les gens apprécient ce que vous avez créé, c’est fantastique. S’ils ignorent ce que vous avez créé, tant pis. S’ils comprennent de travers ce que vous avez créé, n’en faites pas toute une affaire. Et s’ils détestent totalement ce que vous avez créé ? Si vous subissez des attaques au vitriol, si on insulte votre intelligence, si on vous calomnie et qu’on traîne votre réputation dans la boue ? Contentez-vous de sourire suavement et de leur suggérer – le plus courtoisement que vous pourrez- d’aller faire leur propre putain d’art. Et sur ce, continuez obstinément à créer le vôtre. »

« Je refuse de fétichiser la souffrance. Je refuse de la rechercher volontairement au nom de l’authenticité artistique. Comme l’écrivait Wendell Berry: « Prêter à la Muse une prédilection particulière pour la souffrance, c’est pratiquement désirer et cultiver la souffrance. » Certes, l’Artiste Tourmenté est parfois une créature bien trop réelle. […] Si vous êtes un Artiste Tourmenté, après tout, vous avez une excuse pour mal vous comporter avec vos partenaires amoureux, vos enfants, tout le monde. Vous avez la permission d’être exigeant, arrogant, impoli, cruel, antisocial, pompeux, colérique, caractériel, manipulateur, irresponsable et/ ou égoïste. Si vous vous conduisez ainsi en étant concierge ou pharmacien, on vous considérerait à juste titre pour un pauvre crétin. Mais en tant qu’Artiste Tourmenté, vous avez droit à un sauf-conduit parce que vous êtes à part. Parce que vous êtes sensible et créatif. Parce qu’il vous arrive de créer de jolies petites choses.

Je n’accepte pas cela. Selon moi, vous pouvez mener une existence créative et faire tout de même l’effort d’être quelqu’un de bien. Je suis d’accord avec le psychanalyste britannique Adam Phillips sur ce point, lorsqu’il souligne: « Si l’art légitime la cruauté, j’estime que l’art n’en vaut pas la peine. »

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