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“Réparer les vivants” – quand la littérature se fait expérience intense et bouleversante

« Réparer les vivants », peut-être est-ce un titre qui vous est familier ? Depuis sa sortie en 2014, le roman de Maylis de Kerangal a connu un succès immédiat et a inspiré réalisateurs et metteurs en scène pour son adaptation au cinéma et au théâtre.

Réparer les vivants, c’est d’ailleurs en partie le sujet de ce roman haletant, bouleversant, véritable expérience littéraire et expérience tout court où l’auteur nous plonge dès les premières lignes au cœur de son sujet : Un jeune homme de dix-neuf ans, Simon Limbres, grand amateur de surf, décède brutalement dans un accident de voiture. Maintenu en vie artificiellement et demeuré physiquement intact malgré un état de mort cérébrale, les médecins qui le reçoivent le voient comme un potentiel donneur d’organes.  L’auteur nous plonge dans l’antre du drame, du moment de l’annonce aux parents à tout ce que l’acceptation d’un don d’organes implique.

Maylis de Kerangal ne néglige ni l’aspect humain du récit,  ni l’aspect médical, qui demande pourtant une connaissance approfondie du monde hospitalier et tout particulièrement, du processus qui se met en marche dans le cas d’une greffe d’organe.

Elle parvient, à travers un style vif et descriptif, véritable leçon littéraire,  à restituer toutes les strates et les différents niveaux d’appréhension de cette histoire et on ne peut qu’admirer le travail d’enquête et de recherche  effectué pour évoquer toute la partie médicale du récit.

Comme  une conscience omnisciente et légère, on entre dans les vies, les psychologies, les intériorités de tous ceux qui sont concernés, durant ce court laps de temps, par cette transplantation cardiaque, cette migration de cœur d’un corps à l’autre. On se retrouve alors au plus près des personnages, témoins de leur souffrance muette, de leurs hésitations, de leur profondeur, et on se rappelle que la littérature est aussi un art de l’empathie.

Avec grâce et maestria, l’auteur nous promène, nous emporte et rythme cette lecture en se balançant, telle une virtuose de la narration, de passages intenses, vibrants, extrêmes, où l’on retient son souffle, immergé dans une action terrible et parfois frénétique pour ensuite redescendre et  reprendre haleine dans des pages contemplatives et descriptives, temps de pause bienvenus dans l’intensité du drame qui se joue.

Avec le cœur comme organe, symbole et métaphore au centre de cet ouvrage, cette lecture fait écho, de manière permanente, à notre propre souffle, à notre vitalité et nous projette bien malgré nous dans une aventure spirituelle, où dans un laps de vingt quatre heures, des vivants se rencontrent et se pressent autour d’un homme mort trop jeune pour y recueillir la vie nécessaire à la résurrection d’une femme brisée.

L’auteur, avec ses mots justes et précis, ses phrases allongées à en suffoquer, sa sensibilité exacerbée qui attrape grâce à la magie des mots toute la densité et la richesse de ces vingt quatre heures, semble naturellement habitée par une humanité extrême.

La lecture de « Réparer les vivants » m’a rappelée toutes les lectures marquantes de ma vie, celles qui troublent et qui restent longtemps en mémoire, comme des réminiscences d’une expérience bien réelle. Trop souvent reléguée au rang d’activité récréative et divertissante, on omet souvent la dimension transcendante de la littérature, son pouvoir transformateur par l’exercice de patience, d’attention et d’empathie qu’elle requiert.

Et finalement, plutôt qu’une fuite et un retranchement en soi, entrer dans un récit puissant comme celui-ci, n’est-ce pas une autre façon de déployer sa  conscience et de s’élever au-dessus des états de conscience ordinaires ?

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