Touria Hadraoui, une voix qui porte, bien au-delà du Malhoun

J’ai rencontré pour la première fois Touria Hadraoui par le biais de mon père, lors d’une soirée organisée en l’honneur d’un ami qu’ils ont en commun, avocat et grand militant des droits de l’homme au Maroc.

Je me souviens encore de son regard vif et enthousiaste et de cette bonhomie qu’on retrouve chez tous ceux qui aiment profondément la vie et les êtres.  On me l’a présentée comme une remarquable chanteuse de malhoun (art dont j’ignorais tout), et c’est ainsi que la majorité des marocains la connaissent.

Je l’ai revue quelques temps après,  durant ma cinquième année d’études de psychologie à Casablanca, quand la directrice de l’école a eu l’idée saugrenue mais finalement salutaire d’organiser des cours de malhoun, afin de nous sensibiliser à la culture et au patrimoine marocains.

Mais c’est plus tard, en dehors de la classe et des lieux de rencontre formels que j’ai eu la chance de mieux la connaître et de voir mon intuition confirmée.

Puis, j’apprends qu’elle a fait paraître un livre que je ne tarde pas à me procurer en allant assister à sa signature.

De ce livre, Touria me confie que son écriture aura pris trois ans. Trois années éreintantes au cours desquelles elle ne se sentait pas d’autre choix que d’écrire, comme un appel des tréfonds de son être auquel elle ne pouvait résister.

« En quête d’une voix » est donc son récit autobiographique, où elle retrace ses années d’adolescence et de jeune adulte en chemin vers la découverte de l’art du malhoun. C’est ce cheminement qui nous est conté,  à travers une narration tout à la fois intime et pudique où l’on fait la rencontre des événements et des êtres qui l’ont marquée et  qui ont influencé son destin.

Le récit débute sur un ton plutôt léger, dans les années douces du  collège et du lycée puis nous mène progressivement vers une période plus mouvementée : ses années d’engagement politique alors qu’elle était encore étudiante, dans une ère de censure et de répression, sous le règne de Hassan II. Touria, alors engagée à l’UNEM (Union Nationale des Étudiants du Maroc) avec un groupe de jeunes épris de valeurs de liberté et foisonnant d’idéaux, connait désillusions et déboires.

Mais cela n’empêche en rien de retrouver ce qui caractérise si bien cette militante à l’esprit indépendant ;  un souffle puissant de liberté émaille le récit de part en part. En ce sens, les mots reflètent bien leur auteure. On y retrouve de toute évidence sa personnalité courageuse et souveraine et son désir inébranlable d’indépendance et d’émancipation de toute forme de conformisme.

J’ai aimé ce texte fluide, touchant et sincère où l’auteure nous invite à rencontrer son passé à travers ses yeux et sa mémoire. Ne vous fiez pas au rythme des premières pages ! Il accélère assez vite pour nous plonger dans l’effervescence de cette jeunesse militante au temps des années de plomb…

Plus j’avançais dans ma lecture et plus j’avais le sentiment d’entrer dans l’intimité de la chanteuse aux vies multiples, comme si au fil de son écriture, elle baissait la garde et acceptait de nous livrer sa profondeur et son sens poétique.

Les notes délicates du début ont une toute autre sonorité en fin de partition. Elles continuent d’être légères mais elles se sont affirmées et ont gagné en amplitude.

Les dernières pages  offrent une intensité narrative troublante, où l’on entre presque en communion avec l’artiste qui nous communique son exaltation.

« En quête d’une voix » est, en somme, le legs précieux  d’une vie qui mérite d’être connue. La petite histoire offre matière à voir sous un angle nouveau les intrigues de la grande histoire. Et si nous sommes nombreux à connaître Touria Hadraoui, la chanteuse de malhoun, nous connaissons sans doute moins bien le personnage, son parcours étonnant, ses engagements et son anticonformisme.

Ce récit est l’occasion d’aller à sa rencontre…

 

Extraits de l’ouvrage :

« Aucun lieu ne pouvait contenir nos aspirations et nos rêves, ni nous contenir nous-mêmes. Nous étions comme habités par le vent. Nous ne tenions à rien sauf à la liberté qui n’était pas une devise mais une manière de se comporter et d’agir. Et l’Idéal était non quelque chose de transcendant, mais une aspiration réelle à laquelle nous tendions dans la vie de tous les jours. »

« L’UNEM était un outil fabuleux de rencontres et d’apprentissage. Comme un aimant, elle nous attirait les uns vers les autres et nous soudait.  Chacun y trouvait son compte. Nous avions tous une existence propre et une reconnaissance. Nous faisions partie d’un mouvement qui emportait tout sur son passage, la morale conservatrice et l’hypocrisie. Le vent qui balayait tout archaïsme. L’amour, l’amitié et l’espoir du changement nous liaient dans un élan heureux. »

« Je me sentais parfois comme l’Homme de Giacometti ; incertain, fragile, seul, solide et debout. J’étais cet être, solitaire et marcheur. La solitude était un lieu privilégié. Elle était pleine et fertile. Je rencontrais l’ombre sacrée de moi-même. Je me retrouvais. Je me tenais bien compagnie. Ma voix m’aidait. La voie du bonheur m’était ouverte. Elle ne dépendait que de moi. »

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