La petite âme et la nostalgie du monde perdu

Il était une fois une petite âme qui avait choisi de s’incarner sur Terre pour son évolution. La petite âme avait vécu très longtemps dans un monde très beau et plein de magie, où le temps passait lentement et où tout était animé de joie, de lumière et d’amour.

Elle avait donc très peur avant d’aller sur la Terre parce qu’on disait que là-bas, l’amour n’était pas inconditionnel, qu’il y avait de la souffrance, du chagrin et des épreuves. Mais elle savait que ce serait pour elle l’occasion de grandir et d’apprendre.

En arrivant sur la Terre, elle eut des parents bienveillants et compréhensifs qui l’aimaient tendrement. Elle eut des frères et sœurs aimants. Elle eut des amis tendres et affectueux. La nature l’avait parée d’une jolie apparence. Elle était appréciée par bien des gens mais la petite âme avait au fond d’elle une grande nostalgie du monde d’où elle venait.

En grandissant, elle s’était protégée de tout ce qui pouvait la corrompre ou lui ôter de sa lumière, pleine de la peur d’en arriver à oublier son origine véritable. Mais elle ne se rendait pas compte que le fait même de se protéger ainsi était un refus du choix qu’elle avait fait de venir sur Terre.

Au fil du temps, à force de chercher à se protéger, la petite âme avait fini par récolter l’inverse de ce qu’elle souhaitait: elle était devenue terne, triste, éteinte. Et tout ce qu’elle avait souhaité retrouver de toute son âme de son monde merveilleux dans sa nouvelle incarnation lui échappait. Elle n’avait plus d’amis, plus de moments d’insouciance, plus de joie. Chaque jour était pour elle une épreuve, parce qu’il fallait se confronter à la réalité sur Terre qui était rude et elle savait au fond d’elle que cela n’irait pas en s’améliorant. Avec le temps, elle perdrait ses parents, ses aînés… La vie sur Terre était décidément bien compliquée, avec ses tragédies, ses pertes et ses problèmes.

La petite âme commençait à remarquer qu’elle attirait dans sa vie tout ce qu’elle redoutait: la laideur du monde s’était invitée en elle. Ses pensées étaient sombres, son quotidien était morne, sa solitude était grande.

Un jour, tandis qu’elle marchait seule dans les allées du jardin près de chez elle, en quête d’un signe qui la remettrait sur la voie, elle rencontra une âme lumineuse qu’elle connaissait depuis longtemps. Elle la reconnut tout de suite parce qu’elle venait du même monde qu’elle mais à la différence d’elle, cette âme brillait de mille feux et ne semblait pas le moins du monde souffrir d’être sur Terre. En voyant la petite âme si rabougrie et mélancolique, l’âme lumineuse s’approcha d’elle et lui demanda la cause de sa tristesse. La petite âme, touchée que quelqu’un s’intéresse à elle, laissa couler quelques larmes et se confia à cœur ouvert à cette âme-ie. Elle lui fit part de sa nostalgie du monde d’où elle venait, de son désintérêt pour la vie et de son désir de mourir. Son amie l’écouta attentivement, avec douceur et bienveillance puis elle lui fit une proposition:

– Petite âme, je te propose que nous nous retrouvions dans le jardin une fois par semaine. J’aimerais te transmettre un enseignement précieux qui changera ta vie. Es-tu prête à me retrouver demain à l’heure où le soleil est au Zenith pour ta première initiation ?

Sans trop réfléchir parce qu’elle n’avait plus grand-chose à perdre, la petite âme accepta.

Elle arriva à midi tapante le lendemain, curieuse de la leçon qu’elle allait recevoir de la part de la belle âme qui l’attendait. Son amie était là, aussi rayonnante que la veille et lui proposa de marcher dans les allées du jardin et de discuter. En marchant dans les allées bordées de fleurs, une brise légère sur son visage et des papillons blancs voltigeant dans l’herbe, la petite âme s’aperçut qu’elle avait oublié de contempler le monde qui l’environnait et qui n’était pas si hostile.

Son amie, tout en marchant à son rythme, l’interrogea:

– Alors, raconte-moi ce que tu vis en ce moment. Qu’est-ce qui cause ton chagrin ?

Mon amie, depuis quelques temps, la joie de vivre m’a désertée et je n’ai plus goût à rien. Le monde extérieur me fait peur et je ne trouve du réconfort que dans ma chambre, volets clos, là où rien ne peut m’atteindre.

– Qu’est-ce qui te fait si peur dans le monde extérieur ?

Tandis qu’elle lui posait cette question,  la petite âme remarqua un chat gris qui se prélassait paresseusement au soleil et elle se dit qu’elle aurait aimé être comme ce chat, l’esprit  tranquille et sans problème. Dans un soupir, elle énuméra ses peurs, même si elle savait que la liste était encore plus longue:

– J’ai peur de vivre, de souffrir, d’être trahie, de faire du mal ou qu’on m’en fasse, de grandir, de vieillir, de mourir. Et elle ajouta, la voix tremblante:

– Et parfois, j’ai même peur d’exister.

– En fait, tu as peur de tout, petite âme.

-Oui c’est ça et je ne me sens en sécurité que chez moi, à l’abri de l’agitation du monde extérieur.

– Et chez toi, dans ton cocon, es-tu heureuse ?

– Non, pas du tout. Je me sens étouffer dans une réalité de plus en plus étriquée, de plus en plus terne. J’aimerais retrouver mon entrain mais malgré tous mes efforts, je n’y parviens pas.

– Je vais te faire une confidence. Je comprends si bien ce que tu vis parce que j’ai moi aussi vécu la même chose. Il y a quelques années, j’ai été assaillie par un spleen terrible au point de ne plus sortir de mon lit. J’essayais sans arrêt de retrouver l’état d’unité et de paix vécu avant de m’incarner en priant, en méditant, en faisant des activités agréables et en me réfugiant dans mon imagination. Je fuyais la réalité parce que je la trouvais brutale et parfois violente. Et j’en suis arrivée à perdre contact avec elle, à me sentir de plus en plus désincarnée, morte intérieurement.

Tandis qu’elle écoutait sa belle amie, la petite âme remarqua que les papillons blancs continuaient de voltiger autour d’elle, que le soleil ardent était tempéré par les grands chênes plantés sur l’allée qu’elles traversaient et que des rires d’enfants résonnaient autour d’elles. Son amie continua:

– J’ai tellement fui la réalité qu’au bout d’un moment, je ne parvenais plus à prendre soin de moi, à me nourrir, à me vêtir correctement… puisque je n’arrivais même plus à travailler. Un jour, je me suis réveillée particulièrement fatiguée et sans motivation. J’ai vu l’état de mon lieu de vie: il était sale, désordonné, presque chaotique et j’étais à son image, confuse et perturbée. J’ai compris que je ne pouvais pas continuer ainsi parce que je risquais ma vie. Il fallait que je m’occupe d’abord de mon espace, que je reprenne contact avec lui pour espérer aller mieux. Le premier pas que je devais faire consistait à me réconcilier avec la réalité. C’est le piège dans lequel nous tombons toutes, nous les âmes en quête de beauté et d’absolu. Nous croyons que la réalité s’oppose à notre monde perdu. Mais ce n’est pas vrai du tout ! Dis-moi, dans ta vie, petite âme, combien de fois as-tu vécu des choses réellement difficiles ?

– De nombreuses fois, il me semble.

-Si toute ta vie se résumait à une centaine de journées, combien d’entre elles auront été marquées par de lourdes épreuves ?

– Peut-être trois ou quatre…

-Trouves-tu donc cela juste de tourner le dos à la réalité alors qu’elle ne se montre vraiment insupportable que 3 ou 4% du temps ?

– C’est vrai, cela n’est pas juste.

– Regarde à présent autour de toi, toi qui aime tellement te réfugier dans ton esprit. Y a t-il quelque chose de vraiment effrayant et hostile dans cet espace, qui mériterait que tu fuis ailleurs ?

La petite âme regarda autour d’elle et à vrai dire, le jardin était luxuriant, inondé de lumière, plein de la gaieté des enfants qui jouaient dans les installations de jeu, de la légèreté de papillons blancs et de l’oisiveté délectable des chats.

– Non, c’est même agréable d’être ici !

– Alors, maintenant, dès que tu te sens fuir, reviens au moment présent, à ton corps et à ton environnement.

– Et quand je suis dans un lieu que je n’apprécie pas ?

– L’enjeu est de ne pas t’éterniser dans ces lieux et de redoubler les instants dans des lieux qui te plaisent.

– Et donc, comment as-tu fait pour retrouver goût à la vie ?

– Je me suis reconnectée à l’instant présent. J’ai recommencé à faire attention à mon lieu de vie, à mon entourage, à mes gestes, à mon corps. Et petit à petit la magie a commencé à opérer, doucement, progressivement… Mon état ne s’est pas amélioré en un jour. Cela a mis du temps. Mais je ne me suis pas découragée. Je savais qu’à un moment, cette habitude deviendrait une nature. C’est donc ta première leçon, petite âme. A compter d’aujourd’hui, tu vas prendre l’habitude d’être attentive et présente à toi-même et à ce qui t’entoure.

La petite âme accepta de se prêter au jeu. Elle rentra chez elle, retrouva son appartement triste et désordonné, sa chambre lugubre aux volets fermés, ses plantes mortes et se dit qu’elle allait remédier à tout ça. Cela faisait plusieurs semaines qu’elle dépensait ses économies en commandant de la nourriture fast-food chaque jour. La vaisselle s’était accumulée dans l’évier, son placard était un foutoir, ses étagères étaient remplies de poussière. La petite âme alla pour une fois au supermarché et se dit que cette fois-ci, elle prendrait la peine de se cuisiner quelque chose. L’effort n’était pas facile. Elle avait perdu l’habitude d’aller dans des lieux publics, de croiser du monde. Elle était prise de vertiges au milieu de la foule. Mais elle fit l’effort de sélectionner des légumes avec attention et de rester centrée en elle-même en respirant. Elle choisit une recette facile et cuisina doucement, avec l’intention de prendre soin d’elle-même. Après son repas, elle trouva l’énergie pour remettre un peu d’ordre chez elle. Au bout de quelques jours, la petite âme sentit une légère amélioration dans son état. Son esprit était plus calme parce que son espace était plus clair et plus propre. Elle n’avait plus besoin de fuir ailleurs parce que son environnement avait retrouvé un peu de sa beauté. Ses idées se clarifièrent, elle recommença à entrevoir une direction dans sa vie, un petit sentier se dessinait. Bien sûr, elle continuait à avoir un sentiment d’étrangeté et de solitude car, à vrai dire, elle s’était beaucoup isolée. Elle s’aperçut qu’elle avait soudain envie de parler à une vieille amie et qu’elle voulait avoir de ses nouvelles. Elle lui téléphona donc et ressentit la joie d’entendre la voix de son amie. Elles parlèrent près d’une heure et la petite âme sentit qu’elle serait heureuse de la revoir.

Mercredi arriva. Elle allait retrouver son amie belle âme dans le jardin et elle était déjà enthousiaste à l’idée de se montrer en meilleure forme que le mercredi précédent. L’âme lumineuse l’attendait, un grand sourire aux lèvres qui s’élargit encore en la voyant. Elle lui donna une grande accolade et les deux âme-ies se mirent à marcher côte à côte. La petite âme, sans attendre, lui raconta comment elle avait suivi ses conseils et comment la magie avait opéré.
La belle âme était heureuse des progrès de son amie. Elle remarquait qu’elle était plus présente, plus en phase avec les éléments autour d’elle, qu’elle avait soigné son allure et que son regard n’avait plus cet air vague et perdu qu’elle lui trouvait quelques jours plus tôt. Après l’avoir écouté, elle prit la parole:

– Petite âme, maintenant que tu as intégré notre première leçon, je vais t’en dire davantage sur nous, les âmes étoiles qui venons d’un monde plus beau que celui-ci. Nous avons toutes, nous les âmes étoiles, cette mauvaise habitude de fuir dans notre imagination. Au départ, cela est très agréable. Dès que la réalité est déplaisante, hop, nous plongeons dans notre esprit et nous faisons revivre les images de notre monde perdu. Mais c’est un piège ! Sais-tu pourquoi ?

La petite âme réfléchit un instant:

– Parce qu’on finit par ne plus supporter la réalité et cela finit par créer de la souffrance ?

– Oui, c’est bien ça mais plus que cela, on en oublie les lois de la vie sur Terre. Nous nous envoyons des gratifications immédiates en rêvant. Nous prenons l’habitude d’être shooté à un plaisir instantané et quand il s’agit de revenir à notre quotidien, nous nous apercevons que les choses ne marchent pas ainsi. Ici, pour que nos rêves s’incarnent, nous devons travailler, parfois de façon acharnée, et généralement de manière constante et avec persévérance. Notre plus grande force est que nous sommes reliées à ce monde de beauté qui nous inspire et nous fait du bien. Nous savons donc ce que nous voulons voir s’incarner et ce que nous voulons réaliser sur Terre. Mais notre force peut devenir une faiblesse quand nous oublions que ce monde de beauté est un moteur et non un simple refuge, que nous ne devons pas nous contenter de fuir dans ce monde mais qu’il doit nous servir de modèle, qu’il doit être un phare pour nos actions et notre désir de réalisation. Voilà petite âme, la chose que tu ne dois pas oublier.

Tout en marchant et en contemplant le beau jardin, la petite âme se dit qu’après tout, la réalité pouvait ne pas être si éloignée de ce monde merveilleux. Elle vit alors des jardiniers qui tondaient les pelouses et qui ramassaient les feuilles mortes. Et elle pensa: “Pour peu qu’on  prenne soin de cette réalité et qu’on ne la délaisse pas:”

Les chemins des deux amies se séparèrent et la petite âme se sentir tout d’un coup si riche de la leçon qu’elle venait de recevoir. Elle allait retrouver son lieu de vie ensoleillé et propre. Elle se rappela son amie qu’elle avait tellement envie de voir, cette quiche lorraine qu’elle mourait d’envie de se cuisiner et elle avait déjà hâte de recevoir sa prochaine leçon ! En marchant, elle laissa son esprit s’échapper dans sa rêverie et quand elle s’en aperçut, elle le ramena à son environnement, le regard fixé sur ces chênes majestueux qui trônaient dans le jardin et qui n’avaient d’autre choix que d’être présents. Comme l’arbre, elle se fit la promesse d’être patiente et attentive au présent pour qu’un jour, sa réalité soit à la mesure de ses rêves !

 

Laisser un commentaire