1. Quand on croit s’aimer… mais qu’on s’aime mal
J’ai cru à un moment y être parvenue, à avoir réussi à m’aimer en reconnaissant ma lumière, mes qualités, ma singularité… Je croyais avoir enfin réalisé ce que j’avais mis tellement de temps à comprendre : qu’il était nécessaire de s’aimer, dans son humanité, avec ses failles et sa vulnérabilité pour pouvoir vivre sereinement et joyeusement. J’étais dans une sorte de lune de miel avec moi-même. Je me trouvais jolie, intelligente, bienveillante, curieuse, drôle, loyale… Des qualités que je valorisais et qui me laissaient penser que j’étais une jeune femme digne d’être aimée et respectée.

Je pensais que j’en avais fini avec la dévalorisation et le manque d’estime de moi-même, avec le doute systématique, avec le jugement sévère et implacable à mon propre égard…
C’est peut-être méconnaître la nature cyclique de la souffrance. Il y a quelques mois, je suis retombée dans la spirale de la dépression. Angoisses, tristesse profonde, envie de rien, dépréciation de tout… Cet état a été accompagné d’une immense fatigue physique et d’une perte globale d’énergie.
En quelques semaines, cet état pathologique s’est installé et je ne parvenais plus à travailler, à sociabiliser, à faire des activités basiques, à me concentrer sur la moindre tâche. En peu de temps, je suis devenue l’ombre de moi-même, un petit être fragile et sans protection, qu’un rien pouvait ébranler.
Et la dépression a fini par totalement altérer mon image de moi-même : je suis triste, anxieuse, mélancolique, désespérée, incapable de parler aux autres plus de deux minutes… Je ne me trouve ni jolie ni drôle et mon état fait que je ne suis même plus fiable et présente pour mes proches, une qualité qui était pour moi essentielle afin de garder une bonne estime de moi-même. À ce moment-là, je me vois devenir un vampire énergétique, à demander aux autres de me rassurer, de me comprendre, de m’écouter, d’être présents, de me montrer qu’ils m’aiment, à croire en moi alors que je n’y crois plus moi-même.
Toutes mes failles ressurgissent, encore plus grandes, plus béantes. Puis-je encore m’aimer ? Puis-je encore avoir de l’estime pour moi-même ?
2. Accueillir l’ombre pour s’aimer entièrement
Je réalise quelque chose, de manière profonde : quand j’avais le sentiment de m’aimer, je n’aimais en réalité que mon idéal du moi, cette part de moi que je valorisais, que j’espérais que les autres voient — et qui était visible tant que j’allais bien. J’ai dû admettre que je ne m’aimais pas totalement. Je ne m’aimais pas avec mes défauts, mes manquements, ma part d’ombre, mon chaos intérieur.
J’ai dû reconnaître que je ne m’aimais pas inconditionnellement. Pire encore, je n’acceptais pas d’être aussi cette personne renfermée et vulnérable. Je n’acceptais pas d’être à nouveau en dépression. Je haïssais celle que j’étais dans le mal-être.
Et cette dépression m’a forcée à comprendre une chose essentielle : tant que je n’aimais pas aussi ma part d’ombre, ma vulnérabilité, tout ce que j’étais dans la dépression, alors je ne m’aimais pas tout court.
C’est donc sur ce chemin d’amour inconditionnel de moi-même que je marche aujourd’hui.
Ne pas attendre que l’autre me valide pour m’accepter moi-même.
Ne pas m’aimer à condition d’être comme il me semble que je dois être pour mériter cet amour.
M’aimer même si je suis traversée de pensées négatives, d’émotions désagréables, même si je suis un être incomplet, imparfait, encore en chemin.
J’ai eu une prise de conscience importante qui doit maintenant s’ancrer en moi : si j’attends la validation des autres pour m’estimer et m’aimer, alors mon estime de moi-même sera toujours vacillante.
Car cela fonctionne en miroir : si je me donne de la valeur et de l’amour, alors les autres seront amenés à me considérer – même si cela ne garantit rien. Mais si je me déprécie, que je me trouve nulle, indigne d’intérêt ou d’amour, je vibre cette énergie basse et j’attire des personnes qui s’engouffrent dans cette faille. Les autres me donneront aussi peu d’importance que je m’en donne. Et si j’attends que le regard de l’autre m’adoube, me reconnaisse, me confirme… alors je deviens esclave de ce regard.
3. Jung : éclairer son ombre pour se mettre en chemin vers Soi
Carl Gustav Jung, le psychiatre suisse, fondateur de la psychologie des profondeurs, l’avait déjà formulé dans nombre de ses ouvrages : l’ombre est tout ce que nous refusons de voir en nous, tout ce que nous avons rejeté ou refoulé parce que jugé indésirable ou honteux. C’est le pendant invisible de la persona – ce masque social que nous portons pour être aimés.
Mais l’ombre n’est pas que négative. Elle est aussi une source de vérité et de transformation. Et plus on la nie, plus elle agit sournoisement, avec violence parfois. Jung écrivait :
« Il n’y a pas de lumière sans ombre, et pas de totalité psychique sans imperfection. La vie nécessite pour son épanouissement non pas de la perfection, mais de la plénitude. »
Je m’intéresse aux travaux de Jung depuis le tout début de mes études de psychologie. Mais ce n’est qu’en traversant cette nouvelle crise existentielle -plus brutale et plus chaotique – que j’ai réellement saisi ce que signifie vivre avec une ombre non intégrée.
Dans mon cas, cette ombre n’était pas seulement ignorée : elle était niée, rejetée, méprisée. Et c’est ce rejet qui, paradoxalement, nourrissait ma souffrance.
Aujourd’hui, je ne prétends plus « aller bien ».
Mais je fais le vœu de regarder mon ombre, de l’éclairer, de l’honorer, sans complaisance mais avec humanité…
Pour que ma conscience s’élargisse,
pour que mon amour de moi devienne plus vrai,
et pour marcher, humblement, vers ce que Jung appelait le Soi – cette totalité intérieure qui réunit ma lumière et mon obscurité pour rencontrer ma part divine.