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« Rubiel e(s)t moi », quand la littérature permet d’explorer un autre destin

De Vincent Lahouze, je connaissais les textes engagés et lyriques et cette plume qui n’a pas son pareil. Depuis que j’ai commencé à le suivre sur Instagram il y a quelques années, j’ai assez vite remarqué qu’il faisait partie d’une catégorie rare: celle des hypersensibles, à l’avant-garde sur bien des sujets et dont la sensibilité transparaît et transpire à travers l’écriture. Alors, vous connaissez peut-être l’histoire de Vincent, son adoption, ses textes du 18 (clin d’œil à ses abonnés), ses écrits engagés sur le féminisme, le genre, la maltraitance et bien d’autres thèmes mais il vous manque une pièce maîtresse de son œuvre si vous n’avez pas encore lu « Rubiel e(s)t moi ».

Qui est Rubiel ?

Rubiel est le petit garçon qu’était Vincent avant son adoption à l’âge de 4 ans par un couple français venu le chercher en Colombie, à l’orphelinat du Bienestar à Medellìn. Il s’appelait Rubiel, il a connu l’abandon à la naissance, des foyers successifs et puis l’orphelinat. Un peu d’amour de la part des nourrices et de ses compagnons de chambre, plus particulièrement d’un petit garçon blond prénommé Federico. En septembre 1991, cet équilibre précaire va être à nouveau chamboulé par un nouvel événement, inattendu et extraordinaire: l’arrivée de ce couple français venu en Colombie pour l’adopter. Nouveau prénom, nouveau pays, nouveaux parents, nouvelle fratrie, c’est à la fois un bouleversement et une renaissance. Mais c’est aussi la fin de Rubiel. Que se serait-il passé si ce jour-là, ce n’était pas Rubiel mais Federico, son compagnon de chambre et meilleur ami, qui avait été adopté ? Qu’aurait été la vie de Rubiel sans cette adoption ?

 

Rubiel e(s)t moi est l’autobiographie fictive de Vincent Lahouze. L’auteur explore la possibilité d’une autre destinée, d’une autre vie. Inspiré par le roman « La Part de l’autre » d’Eric Emmanuel Schmitt qui imagine ce qu’aurait été la vie d’Adolf Hitler s’il n’avait pas été recalé au concours d’entrée au Beaux-Arts, V. Lahouze aborde ici un thème éminemment littéraire et philosophique. Il donne sa part à l’autre, l’autre enfant resté à Bienestar, l’autre destin qui ne s’est pas accompli mais qui aurait pu exister. Le thème de la destinée est ici merveilleusement exploité grâce à cette narration qui met en parallèle l’histoire de Rubiel et celle de Vincent.

Un style bouleversant

Si l’histoire de Vincent est hors du commun, sa façon de la raconter l’est encore plus. De son style d’écriture si singulier, à la fois poétique, imagé et vif, il parvient à plonger le lecteur dans le drame de ses personnages, dans leur tourmente, leurs abysses et leurs espoirs. Dans une narration croisée entre sa vraie histoire et son autre destin, il livre un témoignage magnifique sur la construction identitaire et la quête de soi. A la fin de la lecture, on réalise que la littérature peut aussi être un fabuleux  moyen de se réparer, de comprendre, de guérir grâce au pouvoir sublimatoire des mots et de l’imagination.


Le pouvoir de l’écriture

Oui, c’est un peu cela qu’offre l’auteur à travers son récit: une réflexion sur la force de l’écriture, son rôle cathartique, son pouvoir guérisseur. A travers elle, Vincent explore son passé, emprunte un autre chemin, imagine une autre destinée pour retrouver son unité et le sens perdu de ses premières années au moment de son adoption. Il ressuscite le petit Rubiel et lui offre une voix et un parcours, donnant ainsi corps à ce qui a été brusquement arrêté. Il donne aussi vie à sa tourmente, aux démons qui le hantent, à ses errances d’adolescent puis de jeune adulte. Avec cette plume trempée dans l’émotion et emplie de sensibilité, nous, lecteurs, sommes transportés au plus près de l’expérience réelle ou imaginée du narrateur. « Rubiel e(s)t moi » est véritablement un voyage au pays des émotions, lesquelles montent crescendo jusqu’au final, éblouissant et poignant.

Vincent Lahouze signe là un premier roman magistral ! Je vous conseille vivement cette lecture si vous ne redoutez pas trop les émotions fortes et les histoires qui font vibrer !

Extraits

« Cette nuit-là, une feuille blanche m’a sauvé la vie. Depuis, je continue d’écrire. Et j’ai compris le but. Ecrire et mûrir. Et devenir immortel, à jamais. »

« Ils ne pouvaient pas savoir qu’adopter n’était pas simplement adopter un présent et un futur. Ils adoptaient aussi un passé, des failles, des douleurs. Ils ne savaient pas que nous étions des bombes à retardement, affamés avant même de naitre, avant même de n’être, tout simplement. »
 

 « Je suis là, dans la cour de récréation, en train de regarder ce petit monde de demain s’agiter, courir, quand je le remarque, assis sur la murette, immobile et silencieux. (…)

(Pourquoi cet air si sérieux ?)

C’est perturbant un enfant qui ne bouge pas. Puis soudain, il se tourne vers moi, penche légèrement la tête et sa petite voix résonne dans mes oreilles.

(En fait, je me posais une question : pourquoi je n’ai pas le droit de jouer avec les poupées de ma sœur ? Pourquoi je n’ai pas le droit de porter une robe à l’école alors que ma sœur a le droit de porter un pantalon ?)

Je reste muet. Comment lui expliquer que cette société ne voit la vie qu’en rose et en bleu, que cette société n’accepte socialement que deux genres (…).
Je ne dis rien, j’ai simplement envie de le serrer contre moi, de lui faire un gros câlin, de lui donner toute ma force pour les années futures, afin qu’il ne baisse jamais les bras. »

 « Peu à peu, je me mets à haïr ce passé que je ne connais pas. que je ne connais plus. Auquel je refuse de penser. J’ai quinze ans, écartelé entre deux cultures, deux monde opposés, une double identité qui ne me ressemble pas. A cet âge-là, les adolescents ont souvent le cul entre deux chaises, moi je l’ai entre deux continents. Au milieu, se trouve l’océan.
Alors forcément, arrive un moment où tu coules. »

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