Rencontre avec Maï-Do Hamisultane

Cet entretien date de février 2015 et j’espère avoir à nouveau l’occasion de rencontrer Mai-Do pour un nouvel entretien sur son dernier roman.

Retrouver Casablanca au temps de ses villas art-déco, et d’une certaine effervescence intellectuelle. Puis la quitter, pour suivre la narratrice dans sa fuite, la fuite d’un drame aussi funeste que mystérieux : le meurtre du grand-père marocain de la narratrice, propriétaire de la villa de Mira Ventos, somptueuse villa blanche, au salon de marbre et au jardin immense. Fini le temps de l’insouciance et des cornets de glace à la plage près de Sidi Abderrahman. La narratrice suit sa grand-mère et sa mère dans le sud de la France, où elles tentent toutes trois de surmonter cette perte tragique.

La Blanche, premier roman enchanteur de Maï-Do Hamisultane, entrelace les souvenirs dans un style vif, elliptique et élégant.

Maï-Do Hamisultane, romancière douée de trente et un an, aborde dans ce premier roman les thèmes de l’enfance perdue, du chagrin amoureux et du retour aux origines dans une langue délicate et précise. Cette amoureuse de Marguerite Duras a de nombreuses raisons de susciter l’intérêt : ses origines multiples en font un être universel ; en effet, sa grand-mère paternelle est chinoise, son grand-père paternel vietnamien, ses grands parents maternels marocains. A cela s’ajoute une adresse mobile dès l’enfance, entre la France et le Maroc.

Aussi, Maï-Do fait partie de ces êtres éclectiques qui, passionnés de littérature, ont tout de même plusieurs cordes à leur arc. Après une prépa littéraire au lycée Janson de Sailly (Paris), Maï-do fait des études de médecine et devient interne en psychiatrie.

Rencontre littéraire avec une jeune femme au talent prometteur et aux dons multiples, qui nous parle de littérature, de ses dettes littéraires, de son rapport à l’écriture et de bien d’autres choses encore !

Quel a été le déclencheur de l’écriture de ce premier roman ?

Je ne pense pas qu’il y ait de déclencheur. J’écris depuis toujours, depuis ma petite enfance, à l’époque où j’habitais à Casablanca. Jean-Pierre Koffel qui était le meilleur ami de ma grand-mère et qui a d’ailleurs eu le prix Atlas en 1995 pour Nous l’appellerons Mehdi, me gardait quand j’étais petite. Il me demandait souvent, à l’âge de 5 ans, pour rire, ce que je voulais faire dans la vie. Je répondais toujours : écrivain. Il m’initia dès l’âge de six ans à l’écriture en me donnant une feuille et un stylo et en me demandant d’écrire quelque chose sur le chien de la maison, Snoopy. Avant La Blanche, dont j’ai entamé l’écriture à dix-sept ans, j’avais écrit un autre roman que je n’ai jamais publié. A quatorze ans, j’ai écrit des poèmes qui sont parus dans le quotidien marocain Al Bayane.

Pour moi, écrire est une nécessité, une nature, plus qu’une passion. Le théâtre est une passion, mais l’écriture est plus que cela, elle m’est aussi nécessaire que l’air que je respire.

On a l’impression, en lisant votre roman, qu’il y avait aussi un besoin de raconter une histoire, votre histoire…

L’histoire est un prétexte à créer une atmosphère et des couleurs. Il y a certains éléments vécus mais La Blanche est une fiction avant tout. Et parfois, le fictionnel a plus d’importance que la réalité. Dans ma littérature, je choisis de raconter des atmosphères, des univers. Je veux aussi montrer la complexité des êtres humains, et cela m’intéresse plus que de raconter mon histoire. Si j’avais plus de temps, j’aimerais écrire une histoire qui n’est pas forcément la mienne. Je rêverais d’écrire l’histoire de Leila Pahlavi, la fille du Shah d’Iran qui s’est exilée en Grande Bretagne et qui s’est suicidée à cause de l’exil et pour d’autres raisons encore. Je pourrais écrire sur tout, mais à ma manière, avec mon point de vue, en essayant de recréer des univers, des odeurs, des couleurs.

La Blanche est une fiction parce que, si on y regarde de près, rien n’est vrai, la réalité est complètement déformée.

 

Votre roman n’est donc pas autobiographique ? Quelle est alors la part de l’autobiographie dans votre roman ?

Il n’est pas important de savoir ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Mais si vous voulez vraiment le savoir, je peux vous dire que Mira Ventos a existé, l’assassinat de mon grand père a vraiment eu lieu et le clown de Casablanca est vraiment une femme que j’ai vue errer près de Sidi Abderrahman. Tout le reste est fictif.

Même le chagrin amoureux est fictif ?

Le chagrin amoureux est universel. Tous les hommes de mes romans s’appellent Victor. Dans mon prochain roman, le protagoniste s’appellera Victor. Pour moi, comme je le dis à la fin de La Blanche, les destinées sont interchangeables. C’est pour cela que la part de réalité ou de fiction n’a pas d’importance.

Pourquoi choisir toujours ce prénom, Victor ?

Parce que c’est un prénom que je trouve à la fois dur et neutre. Et aussi, dans ma vie, je ne connais pas de Victor, donc il m’est très utile parce que personne ne se reconnaîtra. Ç’aurait pu être Victor ou Alexandre, mais Victor est un prénom dur, qui ressemble au marbre…

Est-ce que vous avez des influences particulières ? Est-ce que certains auteurs vous ont marquée ou ont été à l’origine de votre désir d’écrire ?

Il n’y a pas en toute rigueur d’auteur qui soit à l’origine de mon désir d’écrire. Mais ma première histoire d’amour avec un auteur remonte à mes neuf ans, quand j’ai lu La Symphonie pastorale d’André Gide. J’ai trouvé cette œuvre magnifique. C’est là, peut être, que tout a commencé. Ensuite, j’ai découvert la littérature de Marguerite Duras dont je suis une grande admiratrice. Comme l’a dit Lacan, M. Duras est celle qui a été la plus proche de l’âme humaine. Marguerite Duras parle aussi de l’interchangeabilité des lieux : alors qu’elle passe le pont de Tancarville en Normandie, elle a l’impression de traverser le Mékong en Asie. Dans mon livre également, il y a cette correspondance des lieux. Alors que mon héroïne est à Marseille face au château d’If, le lieu lui rappelle étrangement Sidi Abderrahman. On comprend très bien d’ailleurs cette résonance des lieux puisqu’elle perd son enfant face au château d’If et elle retourne ensuite à Sidi Abderrahman qui est le lieu où les femmes vont pour avoir des enfants. Un autre auteur que j’adore est William Faulkner.

Marabout de Sidi Abderrahman

Pouvez-vous expliciter cette notion d’interchangeabilité des lieux ?

On pourrait aussi parler d’interchangeabilité des êtres. Dans mon roman, mon héroïne –ou anti-héroïne regarde le clown de Casablanca qui erre près de Sidi Abderrahman, et, à la fin, elle devient elle-même ce clown de Casablanca. Les destinées s’échangent. Un très beau livre d’Eric Emmanuel Schmitt intitulé La part de l’autre raconte ce qu’aurait pu être la vie d’Adolf Hitler s’il avait réussi comme élève des Beaux-Arts. Il aurait été une personne tout à fait différente s’il avait intégré les Beaux-Arts et le cours de l’histoire aurait pu en être changé.

De quelle façon écrivez-vous? Est-ce que vous avez la trame de votre récit avant même d’écrire ou est-ce que l’inspiration vient au fil de votre écriture ?

Pour moi, l’écriture est un voyage. Je construis mes livres comme on rêve d’un voyage. Avant même de commencer à écrire, j’ai ma trame et je sais comment je vais mener mon histoire. Et comme les grands voyages qu’on rêve des mois à l’avance, ça ne se passe jamais comme prévu. Je me retrouve à aller dans des directions où je n’étais pas supposée aller et à découvrir des univers que je n’aurais jamais soupçonné. Il se passe quelque chose de magique dans le processus d’écriture.

Ce qui est intéressant, c’est d’avoir sa trame et d’en dévier. On ne peut dévier d’une trame que si elle est déjà tracée.

Ma grande chance, je trouve, est que je ne suis pas qu’écrivain. La littérature ne me suffit pas pour remplir ma vie. Quand on n’est qu’écrivain, on se plie à des horaires précis, ce qui n’est pas mon cas. L’écriture m’est nécessaire, j’ai autant besoin d’écrire que de respirer mais ma vie n’est pas réglée seulement par mon écriture.

Vous voyez donc l’écriture comme un moment à vous ? Il ne s’agit donc pas d’un travail pour vous ?

Eh bien, étant donné que j’ai eu la chance de voir mes livres publiés, je suis obligée de les travailler et de les retravailler. Cocteau disait qu’écrire est un acte d’amour. Je travaille aussi mes romans pour offrir aux autres quelque chose de beau à lire, de les ouvrir à des impressions et à un univers. Je veux écrire quelque chose qui ait un sens esthétique et une signification. Si j’écrivais seulement pour moi, mes écrits seraient des logorrhées qui n’intéresseraient que moi. Mes écrits ne sont ni un journal intime ni une autobiographie. Il s’agit plutôt d’une autofiction. Dans toute fiction, il y a forcément un travail. Dans mon roman, je travaille tous les détails. Au début du livre, je parle du marbre blanc, qui à la fin du roman devient rose, parce qu’entretemps, le sang a coulé. Des ballons s’envolent dans les airs au début du livre ; dans l’Antiquité, les ballons étaient appelés « folies » et mon personnage devient fou. Je ne laisse donc aucun détail au hasard, pas même la couleur des objets.

En effet, à moins de faire une lecture très attentive, le lecteur ne s’aperçoit pas consciemment de ces détails…

Oui, cet apprentissage date de mon hypokhâgne et khâgne BL, où j’ai beaucoup étudié la littérature et où j’ai appris l’importance des détails. Ce sont ces détails qui font sens chez le lecteur et qui donnent à un livre une vraie richesse littéraire. Flaubert, par exemple, parlait clairement de ces détails. Dans Madame Bovary, il y a la métaphore d’une toile d’araignée qui se tisse autour du personnage d’Emma Bovary et, à la fin du roman, cette toile enveloppe le corps d’Emma Bovary qui est morte. On ne peut remarquer cette métaphore qu’en étant très attentif au texte.

 

En quoi votre formation de psychiatre nourrit-elle votre travail de romancière ?

J’ai commencé à écrire bien avant de commencer ma formation de psychiatre et mon roman La Blanche a été publié avant que je ne me spécialise en psychiatrie, il y a deux ans. Ma       formation de psychiatre et mon travail de romancière sont deux choses que je sépare     clairement. En psychiatrie, on ne peut pas se permettre d’être littéraire parce qu’il s’agit         d’une discipline très scientifique. Le fait d’avoir des médicaments à prescrire et des maladies à diagnostiquer ne me permet pas de faire de la littérature. Paradoxalement, les gens sont bien plus intéressants pour moi à la terrasse d’un café qu’entre les quatre murs de mon  bureau, où la relation patient/ médecin qui s’instaure n’est pas d’égal à égal.

 

Comment percevez-vous Casablanca aujourd’hui, ville très chargée de souvenirs pour  vous ?

C’est un regard à double tranchant que je porte sur Casa : je la vois comme la ville de mon enfance heureuse et de mon innocence mais je la vois aussi comme une ville terrible, d’une extrême violence, avec l’assassinat de mon grand-père. Casablanca a plein de visages mais ce sont ces deux visages-là qui prédominent pour moi. Je suis retournée à Casablanca il y a deux ans et je n’ai pas voulu voir  la maison « Mira Ventos ». J’ai seulement revu mes cousins.               Ça n’a donc rien remué en moi puisque je ne suis pas retournée à Anfa, quartier où j’ai grandi. Je l’ai fait sciemment parce que j’avais trop peur.

 

Mais vous racontez, à la fin de votre  roman, que vous repartez à Casablanca et que vous revoyez  « Mira Ventos »… Est-ce que cela s’est vraiment passé en réalité ?

Oui, j’y suis retournée il y a des années et je suis allée voir ma maison « Mira Ventos » dont le nom avait changé. Elle avait été rebaptisée « Le mirage ». C’est là où j’ai eu le déclic pour écrire ce livre sur mon enfance au Maroc, parce que ce nom de mirage signifiait peut être que toute ma vie n’avait été qu’un mirage, qu’une illusion. C’est tellement facile d’occulter         les choses. La maison est en ruine, mon grand-père est mort… C’est comme si ma vie d’avant n’avait jamais existé. C’est justement pour ne pas perdre les choses qu’on les écrit.

 

Avez-vous  des projets d’écriture ?

Oui, je viens d’achever l’écriture d’un roman qui paraîtra en juillet intitulé Santo Sospir, ce qui signifie « sans soupir ». Ce roman évoque les femmes des marins, qui, quand leur mari s’en vont, soupirent en attendant leur retour. C’est un roman sur l’attente des femmes. L’histoire se déroule en trois temps. D’abord, dans un premier temps, une histoire                contemporaine qui se déroule entre Paris et Tanger. Dans un deuxième temps, c’est l’histoire d’Ulysse et Pénélope. Enfin, la troisième histoire est celle d’une cousine des Rothschild, délaissée par son mari qui lui offre avant de partir une villa sur le cap de Villefranche, qu’elle appelle elle-même Santo Sospir, en attendant le retour de son mari. Elle fait peindre les murs    de la maison par Jean Cocteau.

Je suis également en train d’écrire un roman que j’ai intitulé Eclats  et qui est une critique   sociétale de l’aristocratie française. J’y décris notamment un épisode de garde à vue où l’on peut constater que la fange humaine n’est pas là où l’on croit.

En quoi toute cette mixité culturelle qui est votre – vos origines chinoises et  vietnamiennes mais aussi marocaines, votre éducation occidentale – a participé à enrichir  votre littérature ?

Eh bien, je ne me sens pas trop asiatique, j’ai surtout vécu au Maroc et en France. Je me sens donc surtout franco-marocaine. Je ne sais pas si ces différentes cultures enrichissent ma littérature…

J’ai l’impression parfois, d’être de nulle part. Amin Maalouf dit une phrase très belle à ce sujet : « Je suis né étranger, je vivrai étranger, je mourrai plus étranger encore». Je me    retrouve dans ces mots, parce que je suis une Marocaine fassie tout en ne l’étant pas, je suis  une Française tout en ne l’étant pas, je suis asiatique physiquement alors que je ne connais   rien à la culture asiatique. C’est dur pour tout le monde de trouver son identité et pour moi, cela me semble encore plus dur. Je dirai que se sentir de partout, c’est surtout n’être de nulle part.

Mais l’identité se construit aussi sur des bases. Si les bases ne sont pas solides, c’est plus difficile. Il faut avoir des jambes immenses pour tenir sur des bases multiples et parsemées. On apprend à assumer une identité complexe.

La plus belle identité, c’est ce que l’on fait. Flaubert disait : « Madame Bovary c’est moi ». On peut l’entendre en deux sens : que Flaubert s’identifie à Madame Bovary, mais, aussi que Flaubert considère que ce qu’il écrit est aussi ce qu’il est et que son travail porte la marque de son identité. Je peux en dire de même pour moi. Mon identité est complexe mais l’acte d’écrire me permet aussi de construire quelque chose. Le fait d’écrire n’est pas qu’un acte intellectuel ; on écrit comme on sculpte ou comme on peint un tableau. La littérature participe à être ce que je suis. En écrivant et en lisant, je construis mon identité et je comprends l’identité des autres.

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