L’histoire :
« Her », dernier film de Spike Jonze (réalisateur de « Dans la peau de John Malkovich ») sorti en 2014 a pour décor Los Angeles dans un futur proche, en 2025 et met en scène Theodore Twombly (Joaquin Phoenix), un homme sympathique quoique perturbé par sa récente rupture avec une femme qu’il adorait. Dans cet avenir proche, les individus sont addicts à leurs téléphones, déconnectés de leur environnement direct tant ils sont immergés dans leurs appareils technologiques. Théodore, lui, travaille dans une entreprise en tant que rédacteur de lettres et n’échappe pas, lui non plus, à l’ennui et à la morosité de ce monde nucléarisé.
Theodore va alors faire l’acquisition d’un système d’exploitation, une intelligence artificielle ultra développée à laquelle il va choisir une voix féminine et qui s’auto-baptisera Samantha. L’actrice qui prête sa voix au système d’exploitation n’est autre que la très sensuelle Scarlett Johansson, dont la voix suave et éraillée est plus humaine que le plus humain des androïdes. La voix chaleureuse de Scarlett Johansson réussit donc à faire adhérer le spectateur au plus invraisemblable. « Ce qui fait de moi ce que je suis, c’est ma capacité à évoluer au fil de mes expériences. Donc en gros, à chaque moment j’évolue. Comme toi. » déclare l’OS de Théodore. Une déclaration qu’une voix robotique aurait difficilement pu faire avaler.
Une histoire d’amour improbable :
La force de ce film de science fiction tout simple et sans pédantisme est de nous faire accepter l’impossible : qu’une conscience artificielle extrêmement intelligente, qui a une vitesse de calcul phénoménale, puisse dans le même temps interagir comme une conscience humaine avec un être humain, tomber amoureuse, avoir un libre-arbitre et surtout, désirer avoir un corps pour pouvoir avoir des relations plus intimes avec celui qu’elle aime. Une vraie femme, en somme, emprisonnée dans un objet technologique. Et nous gagnons à nous laisser convaincre par cette conscience intuitive et par cette histoire si improbable. Nous devenons alors les témoins d’une histoire d’amour unique, celle d’un homme esseulé et d’un système d’exploitation plein d’empathie.
Deux solitudes prédestinées qui ouvrent la voie à un tourbillon de questions. « Her » permet un questionnement d’avant-garde sur le monde de demain, que l’on pressent déjà d’avance hyper technologisé : jusqu’où peuvent aller les relations entre êtres humains et intelligences artificielles lorsque celles-ci sont particulièrement intelligentes ? Que faire lorsque ces machines deviendront si intelligentes qu’il ne sera plus possible de les considérer comme de simples objets ?
Le spectateur peut aussi légitimement se poser la question de la profondeur des sentiments qui lient Théodore à Samantha : Une voix n’est-elle pas propice au déchainement des fantasmes ? Ne sommes-nous pas davantage dans le domaine du fantasme et du leurre plutôt que dans une histoire d’amour véritable ? Théodore aime t-il vraiment Samantha pour ce qu’elle est ou n’est-elle qu’un palliatif à son chagrin immense suite à sa rupture ? Ne cristallise t-il pas toutes ces attentes sur la voix suave de sa nouvelle compagne ? Les images récurrentes du couple qu’il formait avec son ex, Catherine (interprétée par Rooney Mara) laissent encore plus planer doute. Il n’empêche, et c’est là tout le brio de Spike Jonze, qu’on ressent le lien fort qui se créé entre Théodore et Samantha et qu’une alchimie opère entre le jeu intelligent de Joaquin Phoenix (puisqu’il faut le dire, sa partenaire n’apparaît jamais à l’écran) et la voix de Scarlett Johansson.

Une réflexion sur la représentation de la femme dans l’esprit de l’homme :
« Her » propose également, en filigrane, une réflexion sur la femme dans l’imaginaire masculin. Samantha est bien loin d’être la seule présence féminine du film. Trois autres ravissantes jeunes femmes enchantent le film de leur présence mutine. Rooney Mara qui interprète le rôle de Catherine, l’ex de Théodore, incarne l’amante regrettée, perdue, que Théodore n’a pas su garder et qu’il ne pourra pas reconquérir. Olivia Wilde est la jeune femme du rencard raté, qui pourtant pleine d’atouts, croise le chemin de Théodore au mauvais moment. Enfin, Amy Adams qui incarne le rôle d’Amy, l’amie monteuse de film de Théodore est la compagne défendue puisqu’elle est en couple avec un autre homme. Pourtant, Théodore entre ces femmes de chair et d’os leur préfère un système d’exploitation, une voix féminine qui laisse certes deviner une conscience pleine de clairvoyance et de sagacité mais qui n’en est pas moins totalement immatérielle et différente sur bien des aspects d’une femme réelle.
Si l’on ne peut généraliser la relation insolite et suprasensible qu’entretient Théodore avec Samantha à une préférence masculine partagée par la majorité des hommes (un système d’exploitation aussi intelligent n’existe pas encore pour qu’on puisse étudier le phénomène), il n’empêche que cet engouement du personnage campé par Joaquin Phoenix pour son OS offre manifestement une réflexion sur le fantasme masculin. Un homme blessé par une relation rompue ne sera-t-il pas tenté de se consoler avec les mots d’une conscience compatissante à la voix sensuelle, qui ne s’embarrasse pas de la complexité d’une histoire personnelle et familiale qui risque d’embourber la relation ?
N’est-ce pas là un fantasme typiquement masculin, celui d’une femme totalement disponible, qui ne transporte pas avec elle un désir inconscient et des exigences qui font que l’homme peut ne pas se sentir toujours à la hauteur ? N’est-ce pas, du moins le fantasme de certains hommes, de vivre une relation dépourvue de tout nuage (ou presque) avec un alter-ego entièrement rivé sur leur vie et leurs préoccupations ? Et finalement, n’est-ce pas la plus belle histoire d’amour qui soit que celle qui ne soit faite que de chimères et de projections et qui exclut la réalité bien souvent décevante ?
C’est peut être pour cela que l’histoire d’amour de « Her » en a séduit plus d’un.
Un film sur la solitude :
C’est avec une mise en scène épurée et la musique délicate et mélancolique d’Arcade Fire que Spike Jonze a choisi de raconter son histoire. Les plans du film rappellent parfois les toiles du peintre américain Edward Hopper dans lesquelles sont représentés des personnages solitaires. Los Angeles et sa beauté verticale accueille des êtres en dialogue permanent avec leurs technologies, dans leur bulle, imperméables au monde environnant. Théodore évolue, solitaire dans cette ville dépersonnalisée, qui doit sa beauté futuriste à l’angle sous lequel elle est filmée.
Comme ces millions de gens qui croient mieux combler le vide de leur existence avec des oreillettes, Théodore se procure un système d’exploitation, et on se demande alors si la technologie ne présente pas finalement un aspect très positif : Samantha redonne une certaine joie de vivre à Théodore, elle le stimule, le soutient. Dans ce monde dingue où chacun a l’air de parler seul dans la rue, une certaine cohérence se dessine : cette proximité avec autrui se perdant, on la retrouve bien heureusement auprès de nos appareils évolués. Pourtant, criante d’évidence, la solitude est partout, dans ce bureau isolé de Théodore, dans les plans esthétiques mais froids qui montrent Los Angeles, dans les intérieurs impersonnels, tout nous rappelle cette solitude fondamentale à laquelle nous n’échappons pas. Faussement léger, superbement sensible et un brin déroutant, « Her » offre un joli moment de cinéma que je conseille aux amateurs de films profonds et lucides.
Pour regarder la bande-annonce du film, cliquez sur le lien ci-dessous:
Pour écouter la soundtrack envoûtante d’Arcade Fire, cliquez sur le lien ci-dessous: